Sous le titre « La formation d’écrivain public en milieu carcéral », le SNPCE, dans le numéro 39 de son Infolettre, publie une interview croisée de deux écrivaines publiques qui ont participé à la seconde session de formation à l’exercice du métier en milieu pénitentiaire. Nous la reproduisons avec plaisir ici.

Fin 2021, l’Académie des écrivains publics de France, l’AEPF, signait une convention avec l’administration pénitentiaire pour mettre en place une formation au profit des écrivains publics projetant d’intervenir en milieu carcéral. Dans cette démarche, l’AEPF a souhaité associer le Groupement des Écrivains-Conseils®, le GREC, l’association des écrivains publics et auteurs-conseil associés, EPACA Sud, et le syndicat national des prestataires et conseils en écriture, le SNPCE. Après deux sessions en 2022 et 2023, que ressort-il de cette expérience ? Nous avons voulu le savoir.
Fabienne Reichenbach, de l’AEPF, et Isabelle Pasquereau, membre du GREC et du SNPCE, qui ont toutes deux suivi cette formation, ont répondu à nos questions. Voici ce qu’elles en disent.

Témoignages

SNPCE : Que recherchiez-vous en postulant à la formation d’écrivain public en milieu carcéral ?
Fabienne Reichenbach : « Dès mon entrée à l’AEPF, j’ai été attirée par le travail de l’écrivain public en permanence. Après une première formation au sein de l’AEPF, j’ai décroché mes premiers contrats, dans des maisons de quartier et dans des centres d’accès au droit. Il m’a semblé logique de poursuivre par cette formation destinée aux professionnels cherchant à contribuer à la réinsertion sociale dans le monde carcéral. »
Isabelle Pasquereau : « Depuis de nombreuses années, j’exerce dans des permanences en institutions et j’ai souhaité étendre mon champ de compétences au monde carcéral. Cette formation m’a permis d’aborder un cadre dont j’ignorais jusqu’alors la réalité. J’ai découvert un univers complexe, régi par des règles et des usages particuliers qu’il vaut mieux connaître avant de se lancer dans cette aventure. »
SNPCE : Que retenez-vous de la démarche pédagogique mise en œuvre au cours de cette formation ?
IP : « La formation est vraiment complète. Nous avons reçu une importante documentation, sous forme de manuels et de documents numériques livrés sur une clé USB. Les témoignages des écrivains publics exerçant déjà de cette manière ont été édifiants, tout comme ceux du personnel pénitentiaire venu apporter ses lumières. Les jeux de rôles mis en place ont permis de mieux appréhender les subtilités des relations et du mode de fonctionnement de cet univers peu connu du grand public. »
FR : « L’expérience des professionnels de l’écriture pour autrui déjà en activité dans ce monde si particulier a été des plus enrichissantes. Les cas concrets dont ils ont pu témoigner ont constitué une excellente base de départ pour appréhender ce que le grand public, dont je faisais jusqu’alors partie, ignore le plus souvent. Les intervenants de l’administration pénitentiaire, infirmiers, psychologues, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, etc., nous ont tous apporté une vision complémentaire indispensable à la perception la plus précise possible de cet univers. »
SNPCE : Qu’avez-vous retiré de cette formation ?
FR : « De toutes ces interventions, toutes plus intéressantes les unes que les autres, je retiens le sens de l’humain qui s’en est dégagé à tout instant. Pour moi, ce fut très réjouissant de constater cette convergence, primordiale à mes yeux, venue compléter l’importante documentation qui nous a été remise. Les règles et les usages en vigueur dans les maisons d’arrêt sont draconiens, même s’ils sont justifiés, n’en doutons pas un instant. Mais ils sont compensés par ce regard empreint d’humanité que portent de nombreuses personnes intervenant dans ce cadre. Un autre point que j’ai noté concerne la gestion du temps. On pourrait croire — à juste titre — que dans ce milieu, le temps s’écoule plus lentement qu’ailleurs. Et c’est un fait : il a son échelle propre et il convient de prendre en compte ce critère avec sérieux pour éviter d’être mis en difficulté. »
IP : « Les membres de l’administration pénitentiaire ont montré tout l’intérêt qu’ils portent aux professionnels de l’écriture pour autrui. Dans le monde carcéral, la communication est avant tout écrite et les sujets abordés, certes variés, sont néanmoins récurrents et ils nécessitent une acculturation certaine. En ce qui me concerne, je suis repartie avec la certitude d’être mieux armée pour prêter mon concours aux détenus qui le solliciteront. J’ai appris ce dont ils ont besoin et bien cerné aussi les limites de l’intervention de l’écrivain public. L’univers carcéral a ses usages et surtout ses contraintes, il vaut mieux les connaître avant de s’y frotter. »
SNPCE : Cette formation vous a-t-elle permis de conquérir un contrat de permanence dans un établissement pénitentiaire ?
IP : « Dans mon secteur géographique, la Bretagne, j’ai postulé auprès des établissements susceptibles d’accueillir une professionnelle comme moi. Je suis malheureusement confrontée au bénévolat, une situation qui ressemble à ce que je connais par ailleurs dans les autres contextes où j’exerce. On se doute que le financement est la clé de voûte de ces permanences, comme ailleurs. Nous avons tous, là, un combat à mener pour faire reconnaître nos atouts de professionnels de l’écriture pour autrui. Mes candidatures ont reçu des réponses et des entretiens sont programmés dans les semaines qui viennent. »
FR : « J’ai eu la chance de trouver une place de suppléante d’un confrère, à la prison d’Orléans-Saran où s’est déroulée la formation que j’ai suivie. J’interviens un jeudi par mois dans ce contexte et j’espère obtenir des réponses favorables de trois autres maisons d’arrêt où j’ai présenté ma candidature. Fait appréciable : celle-ci a été précédée d’une lettre adressée par l’AEPF à tous les organismes concernés, établissements pénitentiaires, conseils départementaux de l’accès au droit notamment, dans laquelle Pascal Martineau présente la convention passée avec l’administration pénitentiaire et la démarche de formation. Mais ici aussi, il faut s’armer de patience ! »
SNPCE : Dans l’affirmative, pensez-vous que, sans formation, cette conquête eut été plus difficile, voire impossible ?
FR : « Cette formation — alliée à cette convention qui a été signée pour deux années et qui, je l’espère, sera prolongée — officialise l’importance et l’utilité de notre métier dans le milieu carcéral, ce qui est à mes yeux primordial pour intégrer cette institution si particulière. Donc, au-delà du soutien qui nous a été apporté, sans cette formation, le sens de notre mission ne serait pas le même. Et je ne pense pas que je me serais lancée dans cette voie si je n’y avais pas participé. »
IP : « Il est toujours possible d’acquérir des connaissances sur le système pénitentiaire en autonomie, mais la formation de l’AEPF facilite grandement les choses. De plus, elle constitue un sésame qui confère une légitimité à ceux qui souhaitent candidater auprès des CDAD. »
SNPCE : Avec désormais du recul, que conseilleriez-vous à la personne en questionnement face à une éventuelle candidature ?
IP : « Faire ses gammes comme écrivain public en institution. Pour le reste, je dirais que pour exercer cette spécificité de l’activité d’écrivain public en milieu carcéral, hormis les compétences de base, il convient surtout, à mon sens, d’adhérer à une vision : de même que tout accusé, quel qu’il soit, mérite d’être défendu, tout détenu, quels que soient les actes qu’il a posés (et nous n’avons pas à connaître ceux-ci), mérite de pouvoir exercer ses droits à la citoyenneté. C’est la mission de l’écrivain public en milieu carcéral de lui ouvrir ce chemin, à partir de ses compétences d’écriture pour autrui. La personne intéressée devra donc réfléchir en toute sincérité à cette question. »
FR : « La prestation étant très spécifique, le prérequis exigeant d’avoir préalablement exercé dans une permanence me semble fondé. Ensuite, malgré les similitudes, il est important de s’interroger sur le fait de vouloir s’immiscer dans le monde carcéral où les conditions de travail sont différentes de celles rencontrées dans une permanence plus classique : l’écrivain public ne dispose généralement pas d’un accès à Internet et travaille souvent avec son stylo en rédigeant sur du papier, n’ayant pas toujours un ordinateur ou une imprimante à disposition. »
L’enthousiasme perçu auprès de nos deux consœurs au cours de ces entretiens témoigne quant à lui de l’engouement qui est le leur pour cette pratique de la permanence, répandue par ailleurs, mais si particulière dans ce milieu fermé.
Une nouvelle session de formation est en gestation et devrait voir le jour en octobre prochain. Un appel à candidatures sera lancé dans les semaines à venir par les associations citées. Celles-ci sont chargées de collecter les dossiers de leurs membres, de s’assurer de leur recevabilité au regard des prérequis notamment, avant de les transmettre à l’AEPF.
Pour terminer de manière plus générale, une telle démarche est de nature à faire connaître plus encore notre métier d’écrivain public, et chacun sait combien il importe qu’il gagne en notoriété.
Cet article aura-t-il suscité des vocations ? N’hésitez pas à nous le faire savoir !
Propos recueillis par Pascal Delugeau