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Par Aurore Macé

Au début d’avril 2014, la 2e Journée Nationale de l’Écrivain Public (JNEP) et les quatre thèmes qui y furent abordés – l’illettrisme, les nouvelles technologies, la biographie et l’entreprise – ainsi que les échanges et les partages d’expériences qui les ont accompagnés m’ont conduite à me poser la question suivante :

Cette profession pourrait-elle être qualifiée de service public ?

Une traversée de Paris à pied depuis la rue de Vaugirard étant un bon moyen de réfléchir posément, et une fois mes cours de droit remémorés et la synthèse des critères jurisprudentiels remise en tête, je crois pouvoir répondre : « Oui, ce serait plausible ».

L’étude de la qualification de service public fait appel à diverses notions juridiques : la définition de l’intérêt général, le respect de la liberté du commerce et de l’initiative privée, l’interprétation de la Constitution, le principe d’autonomie de gestion pour les collectivités locales et la prise en compte du droit européen.
Un service public peut être créé par une décision politique. En l’absence d’une telle qualification, il peut être reconnu comme tel par une décision de justice.

1. La création d’un service public

1.1 Un service public peut être créé suite à une volonté politique.
Les personnes publiques (État et collectivités locales) ont le monopole de cette création. Certains services publics sont obligatoires comme la police ou la justice pour l’État ou encore l’action sociale et d’insertion pour les départements.

1.2 La création du service public peut aussi être le résultat d’une adaptation aux réalités sociales ou économiques.

S’il estime qu’un besoin collectif et d’intérêt général doit être satisfait, l’État prendra soit un
règlement, soit une loi (dans des cas exceptionnels, tels que le risque d’atteinte aux libertés publiques). Son pouvoir est discrétionnaire. Les collectivités locales, quant à elles, ont compétence pour créer, organiser et supprimer tous les services publics nécessaires à leurs missions (loi de 1884 pour les départements et loi de 1871 pour les communes).
C’est l’assemblée délibérante locale (conseil général, conseil municipal) qui prendra cette décision. L’exécutif local est alors le chef de service et prend les mesures d’organisations internes nécessaires. Par principe, les collectivités locales sont libres quant à cette création.
Cette liberté est toutefois limitée par l’obligation de respecter la liberté du commerce et de l’industrie. Si l’initiative privée est absente ou défaillante, alors la création du service public est possible.
Dans ce cas, le Conseil d’État exige la présence de « circonstances exceptionnelles ». Il a posé cette condition dès 1901, dans une affaire concernant la dispense de soins médicaux gratuits à des indigents (1901 – Arrêt Casonava). Ou encore, des « circonstances particulières de temps et de lieu », sont requises pour pouvoir créer une épicerie en zone rurale (1931 – Arrêt Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers).
Si l’on se réfère au droit européen, on peut se satisfaire de ce que les Services Non Économiques d’Intérêt Général (SNEIG) ne sont pas soumis aux traités européens et aux règles impératives du marché intérieur et de la concurrence.
Les Services Sociaux d’Intérêt Général (SSIG) regroupent les services essentiellement prestés
directement à la personne.

2. La reconnaissance d’une activité déjà existante comme un service public.

Sur cette question, c’est le juge qui intervient. Il qualifie une activité de service public quand deux critères sont satisfaits.

2.1 Le premier critère est organique : l’activité doit être gérée, directement ou indirectement, par une personne publique. La gestion directe se fait en régie, c’est-à-dire avec les moyens matériels, humains et financiers de la collectivité.
La gestion est dite indirecte lorsqu’il revient à une personne privée, sous le contrôle de la personne publique, d’exécuter une mission de service public. Cette délégation de la gestion du service peut être implicite quand plusieurs indices sont réunis : la collectivité exerce un certain contrôle sur la personne privée, le financement est d’origine publique et la personne privée exerce des prérogatives particulières qui lui seraient en principe interdites. Ce dernier
critère n’est cependant pas déterminant.

2.2 Le second critère est matériel. L’activité doit être d’intérêt général.
L’intérêt général correspond à ce que les personnes publiques veulent qu’il soit. C’est le cas, par exemple, pour des activités culturelles (Arrêt de 1916 du Conseil d’État Astruc et Société du Théâtre des Champs-Élysées).
L’activité peut être financièrement rentable, tant qu’il ne s’agit pas d’une recherche exclusive du profit.

3. L’activité de l’écrivain public pourrait-elle, au vu de ce qui précède, être un service public ?

Le principe suivant, posé par le Conseil d’État, peut-il s’appliquer à la profession d’écrivain public ? :
«Une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’Administration a entendu lui confier une telle mission »
(CE, Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés APREI).

3.1 À mon sens, il n’est pas aberrant de considérer que l’écrivain public participe à la satisfaction d’un besoin d’intérêt général. Ainsi, en est-il de sa vocation sociale.
L’écrivain public, écrit pour le public et avec le public. Afin de coller au maximum aux attentes du client, il lui est indispensable de le connaitre et de le comprendre. L’écoute attentive et active crée un lien certain et sincère entre l’écrivain et le demandeur. Au-delà de la simple écriture d’une lettre ou de l’aide au remplissage d’un formulaire, il lui apporte son
humanité. Il se montre digne de confiance voire de confidences. Sans honte, le client peut reconnaitre ses difficultés administratives, ses difficultés d’insertion, ses difficultés sociales ou professionnelles auprès de cet écrivain ; la vocation de ce dernier étant précisément d’y apporter des solutions. Plus qu’avec un courrier, c’est avec le sentiment d’avoir été considéré et entendu que le client repart de chez l’écrivain public.
L’aide intellectuelle aux plus démunis. L’assistance par l’écriture aux personnes en détresse sociale : voilà de quoi donner au Conseil d’État matière à proclamer un nouveau droit.

L’écrivain public joue un rôle dans la lutte contre l’illettrisme.
Acteur complémentaire des autres professionnels de la lutte contre l’illettrisme, l’écrivain public participe aussi à sa détection. Proche du client et réactif, il peut aider l’usager à entrer dans un parcours de formation. La qualité de la solution apportée en sera améliorée et le combat contre l’illettrisme renforcé.
Si l’on veut faire de l’accès à l’écrit un droit, que ce droit soit exercé de façon autonome ou assistée, alors l’écrivain public a toute sa place dans notre société comme véritable service public.

3.2 Pour être reconnu comme service public, plusieurs voies sont ouvertes à l’écrivain public :

L’État peut tout d’abord se saisir de cette question. Il prendrait un règlement qui définirait ce service, son régime, ses modalités d’organisation et son financement.
Les départements pourraient aussi créer ce service public. Ils semblent les plus à même d’exercer cette compétence, dans la mesure où ils gèrent déjà les services à vocation sociale.
Là encore, un conseil général pourrait prendre une délibération visant la création, l’organisation et la gestion de ce service.
Bien évidemment, dans ces deux premières situations, la gestion étant faite en régie, le financement serait entièrement public. L’écrivain public serait agent public, rémunéré sur les fonds propres de la collectivité, c’est-à-dire issus des contributions fiscales.
Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, ce recrutement d’un écrivain public par une collectivité ne doit pas porter atteinte à l’initiative privée.
Or actuellement, nous, écrivains publics, exerçons notre métier sous un statut privé : auto- entrepreneurs, société unipersonnelle, SARL, etc.
Je ne pense pas que ceci empêche la qualification de service public. Au contraire. Nous avons dit qu’il était possible pour une personne privée de se voir confier la gestion d’un service
public, par délégation. Ce qui compte est que l’activité soit d’intérêt général, contrôlée et financée (au moins pour partie) par la personne publique.
Ainsi, les prestations peuvent être payées par le client (dénommé alors « usager ») pour un montant inférieur au coût réel et dont le complément serait assuré par les finances publiques.
Ce montage permettrait de ménager le budget local et de responsabiliser le client/usager.
Dans notre cas, ce serait tout à fait possible : un écrivain public, auto-entrepreneur, pourrait se voir confier des missions d’écritures, à temps plein ou partiel, dans les locaux de la collectivité ou non, par le biais d’une délégation de service public.
Ce système existe d’ores et déjà puisque certains d’entre nous travaillent pour des collectivités.
Mais au-delà du simple achat de prestations, il faudrait inscrire cette mission dans la durée et lui reconnaître une véritable finalité d’intérêt général.

En conclusion.
Il ne s’agit pas que d’une simple question de qualification. Notre droit et notre société sont profondément attachés au service public. Nos administrations sont performantes. Ceci traduit bien le souci des Français pour l’entraide et le rôle social de l’État.
L’écrivain public, reconnu comme service public, viendrait enrichir ce corpus administratif. Cette juste reconnaissance permettrait de faire coïncider les faits avec le droit.

Aurore Macé
Rédaction’elle<