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Voici venu le temps d’ouvrir le dernier volet de notre trilogie subjonctive. Rappelons que le premier acte, véritable allégorie du poids de la fatalité, représentait le subjonctif en propositions indépendantes devenant progressivement le mode de la dépendance. Le deuxième acte illustrait l’attitude paradoxale du protagoniste qui tantôt s’imposait comme élément indispensable dans certaines circonstancielles et tantôt se faisait préférer à l’indicatif pour des raisons sémantiques. L’intrigue se dénouera dans ce troisième acte qui mettra en scène la guerre menée par les généraux des temps modernes, le présent et le passé, contre l’alliance des conservateurs réactionnaires, l’imparfait et le plus-que-parfait. L’enjeu est de taille car les vainqueurs de cette lutte acharnée exerceront leur hégémonie sur le royaume subjonctif.

En langage courant, le présent et le passé du subjonctif s’utilisent très communément, comme on a pu le constater à l’occasion des précédents points. Ils s’opposent en toute logique sur le plan sémantique puisque le présent exprime un procès en cours de réalisation ou à venir, alors que le passé indique un procès accompli. C’est ainsi qu’en proposition indépendante ou principale, pour énoncer un ordre, ces deux temps du subjonctif se substituent respectivement à leurs homologues de l’impératif pour les personnes que celui-ci ne peut exprimer (1e et 3e personnes du singulier et 3e personne du pluriel). Aussi devrons-nous dire : Qu’on me corrige le cas échéant ; Qu’ils nous disent ce qu’ils en pensent. Dans l’exemple suivant, le passé du subjonctif pallie le passé de l’impératif situant le procès dans l’avenir à l’instar d’un futur antérieur : Qu’il ait terminé ses devoirs avant ce soir. En proposition subordonnée, le procès présenté au subjonctif est repéré par rapport au verbe principal, lui-même au présent ou au futur de l’indicatif. Dans ce cas, le présent du subjonctif marque un procès simultané ou postérieur à celui du principal : Je souhaite que ces zones d’ombre de la grammaire française soient éclaircies (maintenant) ; Il ne regrettera pas qu’elle vienne (ultérieurement). A contrario, le passé du subjonctif renseigne sur l’antériorité du procès par rapport au verbe principal : On ne s’étonne plus qu’il n’ait pas eu de succès avec son dernier livre.

Notons que dans l’usage courant, on emploiera également le présent et le passé du subjonctif en corrélation avec un verbe principal à un temps du passé de l’indicatif. Toutefois cette concordance de temps, si elle est acceptée, n’en est pas moins grammaticalement incorrecte. Il faudrait opter dans ce cas pour l’imparfait ou le plus-que-parfait du subjonctif, qui confèrerait alors au discours un caractère plus littéraire. On écrira donc, nous avons déploré que les règles d’usage de ce mode soient méconnues ou bien nous avons déploré que les règles d’usage de ce mode fussent méconnues, selon le niveau de langage qu’on souhaitera apporter à l’énoncé.
Nous l’aurons compris, l’imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif ne sont plus vraiment à la mode. Et pour cause, leurs conjugaisons sont sans conteste les plus difficiles des temps de la langue française et leurs terminaisons créent parfois un effet comique inopportun, voire une lourdeur sonore péjorative. En témoignent les exemples suivants : que vous sussiez (du verbe savoir, bien entendu !) ; que je visse (du verbe voir et non visser, n’en déplaise aux bricoleurs !) ; qu’ils lavassent (où l’on prend aisément la mesure du déplaisir de cette corvée !).

Ne nous réjouissons pourtant pas trop vite, car il n’est pas question de retirer ces temps de nos manuels de grammaire. Certains irréductibles continuent de les employer exclusivement dans un registre de langue soutenu. Nous userons ainsi sans restriction des verbes être et avoir à toutes les personnes. En revanche, il faudra nous contenter de la 3e personne du singulier et, plus rarement, du pluriel, pour ce qui est des autres verbes. On évitera donc les personnes en « -ss- ».
Petit rappel morphologique : pour former la 3e personne du singulier de l’imparfait du subjonctif, on se base sur la 3e personne du passé simple et on ajoute un accent circonflexe sur la voyelle de la terminaison et un « t » final pour les verbes du 1er groupe. Il s’agira donc d’orthographier ainsi : il chanta -> qu’il chantât ; il finit -> qu’il finît ; il put -> qu’il pût.

Reportons-nous à la grammaire classique qui préconise l’emploi de l’imparfait et du plus-que-parfait pour traduire la notion d’éventualité (aujourd’hui prise en charge par le conditionnel présent et passé). En proposition indépendante ou principale, l’imparfait indique ainsi une éventualité conforme ou non à la réalité, tandis que le plus-que-parfait correspond à l’irréel du passé et permet de marquer le regret d’un fait non réalisé ou d’asserter un procès passé fictif, une impression imaginaire… Il vînt et il fût venu équivalent à il viendrait et il serait venu. Chacun se souvient des célèbres répliques du Cid : Rodrigue, qui l’eût cru ? Chimène, qui l’eût dit ? En proposition subordonnée, après un verbe principal au passé, on optera pour l’imparfait pour indiquer un procès simultané ou postérieur, ou bien pour le plus-que-parfait pour insister sur l’antériorité du fait : Elle souhaitait que sa fille lui écrivît (à ce moment-là ou plus tard) ≠ Elle souhaitait que sa fille lui eût écrit (avant). En outre, avec un verbe principal au présent, on peut exprimer au moyen du plus-que-parfait une hypothèse sur le passé qui ne s’est pas vérifiée : Hier soir, je crois qu’un séisme ne l’eût pas réveillé. Pour finir, on retrouve ces temps dans des structures hypothétiques. L’imparfait du subjonctif s’utilise après un verbe principal au conditionnel présent pour renforcer l’aspect éventuel ou dans une construction équivalente à une subordonnée introduite par même si : Cela serait drôle qu’il lui vînt cette idée ; Il ne me ferait pas peur, fût-il (même s’il était) le diable en personne. Ultime remarque : dans un système hypothétique avec si, le plus-que-parfait peut figurer dans la subordonnée et/ou la principale : S’il fût venu, elle eût été heureuse ; Si nous ne venions pas de lire le point du mardi, nous eussions déjà plongé dans un manuel de grammaire.

Les généraux des temps modernes semblent avoir gagné une bataille, mais les écrivains publics viennent renforcer leurs ennemis, et en grands conservateurs de la langue française qu’ils sont, se portent au secours de l’imparfait et du plus-que-parfait. Nul doute qu’avec une telle coalition, ces derniers remporteront la guerre du subjonctif. Voilà qui est décidément parfait !