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Fabienne Croze, écrivain public en Saône-et-Loire publie chez l’éditeur Thoba’s un livre plein de sensations multiples et de réjouissances secrètes. Il sera disponible sur le site de Thoba’s à partir du vendredi 12 décembre 2014. Pour ce livre, Jean-Pierre Sicre, fondateur des éditions Phoebus, a donné la préface ci-dessous.

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Gourmande du monde

On en revient toujours à l’énigmatique équation : « La vie ne vaut rien = Rien ne vaut la vie ». Ou bien, pour ceux qui préfèrent la géométrie dans l’espace, à la comparaison non moins problématique entre la bouteille à moitié vide et la bouteille à moitié pleine. Schopenhauer penchait du côté du flacon à moitié vide, celui du Regret. Fabienne Croze va pour sa part, et sans barguigner, vers le flacon à moitié plein, qui lui est avant tout Promesse. A la lire, on est tenté de lui donner raison.

Les hédonistes amis de la sagesse non moins que du plaisir savent bien que l’optimisme n’a jamais été capable de changer quoi que ce soit à cette triste chose qu’on appelle le monde ; au moins les optimistes ont-ils parfois le moyen, si l’inspiration les soutient, de lui conférer un peu plus de couleur, de saveur.

Ce dernier mot nous aurait-il échappé ? Que nenni ! Impossible d’évoquer Fabienne Croze sans recourir au vocabulaire du goût. Elle a des yeux pour voir (on s’en rendra compte à quelques pages d’ici), des oreilles pour entendre (les oiseaux et la musique la requièrent souvent), mais elle a surtout des papilles. Ce sont ces papilles-là qui commandent, dirait-on, sa géographie personnelle. Elle a habité le Quercy, Lyon (ah, l’Oreiller de la Belle Aurore ! …mais n’anticipons pas), elle a fini par s’installer sur les hauteurs du Brionnais qui est, pourrait-on dire en risquant un mauvais jeu de mots qu’on voudra bien nous pardonner, comme le cœur du Charolais. Autant d’endroits où l’on sait tenir convenablement la fourchette – et vider le gobelet.

Nos papilles ne fonctionnent pas tout à fait comme notre cervelle. Cette dernière, si fort sollicitée d’habitude en matière d’écriture, nous commande d’organiser avec rigueur notre discours, de gouverner d’une main ferme la course de nos récits, de pondérer nos appréciations comme l’expression de nos sentiments, de tempérer nos enthousiasmes. Les papilles, c’est sûr, n’obligent pas à de telles mises en ordre et, pour tout dire, rechignent à la restriction. Surtout celles de Fabienne Croze, qui ne pratique la dévotion qu’au pied d’un seul autel : celui de la sainte Curiosité.

On ne voudrait dire ici que du bien d’elle, mais c’est difficile, tant les mots qui nous viennent sur le bout de la langue (pardon encore) sollicitent spontanément des valeurs que la morale chrétienne réprouve : curiosité, avons-nous dit, mais aussi désir charnel de toutes bonnes et belles choses, concupiscence (quel mot !) sans œillère aucune… et n’oublions pas, last but not the least, la gourmandise, si bien réprouvée par nos sages prédicateurs.

Le Brionnais, dont il sera souvent question ici, a été façonné par Dame Nature, qui a su prendre son temps, mais aussi et peut-être surtout par les saints moines de Cluny, défricheurs et façonniers es-paysages, qui allaient plus vite en besogne mais qui ont tout de même eu le bon esprit de laisser derrière eux, pour notre bonheur ému, l’un des plus beaux chapelets d’églises romanes qui se puissent rêver. Fabienne Croze connaît chacune d’elles. Mais ce ne sont pas là, on l’aura compris, les seuls temples qui requièrent sa pratique.

N’attends pas du livre que tu as entre les mains, ami lecteur, une leçon d’ordre ni de cartésienne raison. Tes méninges regimberaient-elles à pareille perspective ? Eh bien, laisse-toi guider à ton tour par tes papilles. C’est pour ton bien que nous te délivrons ce conseil : tu apprendras que le désordre aussi a ses mérites.

La forme élue par l’auteur devrait t’y aider. Encore s’agit-il là à peine d’une forme. Fabienne Croze s’exprime dans cet ouvrage comme on fait au fil d’un carnet de voyage, sans préméditation et sans apprêt. Et comme elle voyage, justement, elle ne s’interdit aucune escapade, aucune digression (à moins que tout sous sa plume ne soit digression sans fin). Sa géographie elle-même, pourtant balisée avec toute la précision nécessaire, en surprendra plus d’un. Sa Bourgogne, mieux conquérante encore que celle de Charles le Téméraire, annexe sans coup férir un joli morceau de Catalogne française, une plage du Cotentin (crabes compris), un quartier et même plusieurs du vieux Lyon… et tout l’Etat du Pernambouc dans le Nordeste brésilien (le temps d’une échappée mémorable). Ne nous plaignons pas. Si la langue, dans sa fonction parleuse, nous fait souvent défaut à l’étranger, il en va tout différemment des papilles, vecteur privilégié, ainsi qu’il se verra tout à l’heure, de nos plus précieuses facultés d’adaptation.

Pourquoi Diable nous entêter à décrire le monde ? Parce qu’il est par nature décevant et que son évocation (nous allions écrire son invocation) le fait déjà un peu mieux exister et, ce faisant, nous aide à le mieux supporter et peut-être même à l’aimer. Pourquoi ne nous contentons-nous pas de contempler la vie de loin (elle ne mérite pas toujours nos caresses), pourquoi vouloir aussi la toucher du doigt, la humer, la goûter, la déguster ? – Parce que, c’est la seule façon de l’aimer ; ou, si nous voulons faire le philosophe, la seule façon de faire pièce à la mort. Le cinéma à la suite du roman nous a appris au moins une chose : on ne peut faire de déclaration d’amour à la beauté que du jour où l’on a réussi à l’embrasser sur la bouche. Fabienne Croze nous apprend à dévorer des yeux un paysage, à pétrir des deux mains l’exquise substance des choses, à siroter l’instant. Tout est pour elle objet de gourmandise, c’est-à-dire d’amour : les gens, la carte du monde, la musique – sans oublier bien sûr le petit vin des collines. Elle qualifie elle-même ses découvertes, en toute ingénuité, de « gourmandises impliquant tous les sens, sans en excepter aucun ». La divine Colette, Bourguignonne s’il en fut, n’enseignait pas autre chose.

Jean-Pierre Sicre