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Les prix Goncourt me font peur. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne rien comprendre, peur de ne pas savoir décrypter autant de références littéraires, peur de ne pas aimer aussi.

Mais cette Chanson douce, je l’avais choisie cet été, bien avant ce jeudi 3 novembre de la remise du prix. Une sympathie pour son auteur, un titre rassurant. Une rentrée littéraire prometteuse, c’est tout. Je l’avais feuilletée. Mais là, je m’y suis plongée et j’ai aimé, beaucoup. Un prix Goncourt simple à lire, accessible, ça existe. Et pourtant, cela commence mal, très mal. Je ne peux lire que le premier paragraphe. Ma sensibilité à fleur de peau, mue par mon histoire personnelle, ne peut se mesurer au talent de Leïla Slimani. Je triche, et passe au chapitre suivant où le tragique laisse place au récit, léger, facile, anodin presque. Oui, je ne relirai cette description du drame qu’après avoir partagé la dernière ligne : « Les enfants, venez. Vous allez prendre un bain. » Et tout prendra sens.

Or du sens, il est ardu d’en trouver. La folie a-t-elle du sens ? Peut-on la défendre ? Dans un roman, tout est permis. Je m’attache à Louise, je la plains et l’envie, tout à la fois. Elle donne de soi, mais n’en reçoit jamais assez. Elle élabore une solution, sa solution : « Un nourrisson qui les tiendrait tout près les uns des autres, qui les lierait dans un même élan de tendresse. Qui effacerait les malentendus, les dissensions, qui redonnerait un sens aux habitudes. Ce bébé, elle le bercerait sur ses genoux pendant des heures, dans une petite chambre à peine éclairée par une veilleuse sur laquelle des bateaux et des îles tourneraient en rond… Les jours d’abattement succèdent à l’euphorie. Le monde paraît se rétrécir, se rétracter, peser sur son corps d’un poids écrasant. Paul et Myriam ferment sur elle des portes qu’elle voudrait défoncer. Elle n’a qu’une envie : faire monde avec eux, trouver sa place, s’y loger, creuser une niche, un terrier, un coin chaud. Elle se sent prête parfois à revendiquer sa portion de terre puis l’élan retombe, le chagrin la saisit et elle a honte même d’avoir cru à quelque chose. »

Lire jusqu’au délire, voilà où nous emmène l’auteur. Comme le dit si bien ma fille, Leïla Slimani a la « pression » pour son troisième roman !

Marie-Agnès de Franqueville