Enfant et adolescente, alors qu’on interdisait à mes amies de grimper aux arbres, de traverser la route en courant, de fumer, de se maquiller – toutes activités dangereuses ou réservées aux adultes – mes interdits à moi tournaient autour de la culture.
Activité inutile qui irritait tout particulièrement mon père, lire relevait d’un véritable parcours du combattant.
Tout d’abord, il fallait se procurer matière à lire.
Acheter des livres étant impensable, les bibliothèques étaient des mines d’or.
Mais il fallait cacher son butin, faire croire qu’on n’avait pris qu’un seul livre, et encore, parce que c’était obligatoire…le professeur de français le demandait.
Ensuite, il fallait lire en cachette.
Mais, devenue totalement accro, j’allais jusqu’à pratiquer au nez et à la barbe de mon père, à la table familiale !
Nombre de livres ont ainsi « appris à voler ». Malheureusement, ils n’ont jamais maîtrisé l’atterrissage, m’obligeant à des réparations sommaires peu appréciées des bibliothécaires : je frôlais souvent l’interdiction de bibliothèque…
Et surtout, il ne fallait pas faire état de ses lectures dans la conversation.
Cependant, je trahissais souvent mon addiction en émaillant mon discours de remarques et de connaissances glanées çà et là, au gré de mes lectures. Je subissais alors les foudres de mon père et les piques acerbes de ma mère : « Qui crois-tu être ? Tu veux péter plus haut que ton cul, mais tu verras, tu feras des ménages, comme moi ! »
Mes parents avaient raison : il n’y a pas de drogue douce et on risque évidemment l’escalade.
De la lecture est née une passion dévorante pour l’écrit. Il me fallait aller plus loin. Il me fallait savoir comment et pourquoi la perfection de certaines phrases, l’efficacité du mot utilisé au bon endroit, au bon moment…
J’ai alors basculé de la simple consommation à la production.
Naturellement, j’ai d’abord produit pour ma consommation personnelle, puis pour mes amis et connaissances.
Aujourd’hui, alors que plus rien ne m’interdit de céder à mon addiction, j’ai franchi un nouveau cap.
Je me suis dit : pourquoi ne pas produire pour les autres ?
C’est ainsi que je suis devenue écrivain public.