Par Marie-Agnès de Franqueville
L’étymologie du dithyrambe est incertaine. Du grec dithurambos, on peut le décortiquer par dis, « deux fois », thura, « porte » et ambainô, « je passe ». Autrement dit cette origine de di-thura, « double porte » ferait allusion à la double gestation du dieu Dionysos. En effet, il serait le seul dieu né d’une mère mortelle, Sémélé, maîtresse de Zeus. Tout d’abord sorti du sein de sa mère, Zeus l’aurait cousu dans sa cuisse afin de mener sa conception à terme, avant de le ressortir une seconde fois. Il n’y a que la mythologie pour nous faire partager de telles légendes. Dionysos connaît donc deux naissances, ce qui lui vaut l’épithète « le deux fois né ». Un autre surnom attribué à notre dieu serait notre mot dithyrambe. Dieu de la vigne, du vin et de la démesure, il est aussi le dieu du théâtre et de la tragédie. Il a été adopté par la Rome antique sous le nom de Bacchus. L’autre étymologie possible proviendrait du latin dithyrambus, « poème consacré à Bacchus » dont le surnom aurait également été thriambos. Du grec au latin, le dithyrambe hésite, peut-être happé par les vapeurs vinicoles…
Le sens premier de dithyrambe se retrouve donc à l’antiquité grecque. C’est un poème lyrique ou cantique en l’honneur de Dionysos, dansé et chanté par des choristes déguisés en satyres, sous la conduite d’un coryphée, le chef du chœur. Les satyres sont les compagnons de Dionysos et forment le « cortège dionysiaque »; demi-dieux, ce sont des personnages à corps humain, à cornes et à pieds de bouc. Le dithyrambe est caractérisé par une faconde (abondance de paroles) désordonnée et exubérante, utilisant à outrance les hyperboles permettant de mieux frapper les esprits, au sens figuré j’entends. « Mourir de soif », « n’avoir que la peau et les os », « cinquante millions de fois » sont des exemples d’hyperboles. Ce dithyrambe aurait été improvisé lors des dionysiaques, fêtes célébrées en l’honneur du dieu grec, et dont les buveurs en délire étaient frappés par la foudre du vin !
Ce genre poétique, chanté en chœur et au son des flûtes, fut inventé vraisemblablement par le poète et musicien grec Arion de Méthymne au VIe siècle. Strophes et antistrophes composent la forme du dithyrambe. Le chœur dithyrambique dit cyclique était formé d’hommes ou d’enfants, qui se déplaçaient en cercle en chantant et en dansant autour de l’autel dionysiaque. La strophe répondait aux mouvements des choreutes allant de droite à gauche, puis l’antistrophe était chantée de gauche à droite. Des concours de dithyrambes s’organisent à Athènes avec l’hautbois double dit aulos ou double flûte. Le dithyrambe devient alors un véritable genre littéraire et demeure à l’origine de la tragédie grecque. Les hymnes dithyrambiques de Pindare et Philoxène, poètes et compositeurs grecs du Ve siècle sont les plus célèbres. Au cours du temps, le dithyrambe évolue, la mélodie musicale prend le dessus sur les vers poétiques et les joueurs de flûte et de lyre sont très convoités.
Inspiré par cette exubérance lyrique, le dithyrambe désigne au sens figuré, un éloge enthousiaste, très souvent démesuré, exagéré. Ces louanges excessives, pompeuses et grandiloquentes ont pris racine dans les fêtes dionysiaques, et ce pour très longtemps… Dans ce sens littéraire, le dithyrambe côtoie un synonyme alambiqué lui aussi, le panégyrique. Ce dernier mot décrit un discours à la louange d’une personne ou d’une nation illustre. Ironiquement, l’effet est inversé et l’éloge devient médisant : Voilà un beau panégyrique !
L’orthographe du mot dithyrambe a pris des allures échevelées à l’image de la vie tumultueuse de Dionysos. Quoi que l’on fasse, il faudra toujours s’en méfier.