Par Sandrine Chevillon
Généralement, les noms communs dans la langue française appartiennent à un genre déterminé, féminin ou masculin, qui ne peut varier. Néanmoins, certains substantifs polysémiques peuvent être à la fois féminins et masculins, en fonction de l’acception dans laquelle ils sont utilisés. Examinons quelques-uns de ces noms à double genre.
Aigle est masculin quand il désigne l’oiseau de proie ou, au figuré, l’homme de génie ; il en va de même quand il évoque un pupitre d’église ou une décoration portant un aigle : L’aire d’un aigle ; L’aigle de cuivre dans le chœur de l’église ; L’aigle blanc de Pologne… Il est, en revanche, féminin quand il désigne expressément l’oiseau femelle ou dans le sens d’étendard, d’armoiries ; on écrira donc : L’aigle est furieuse quand on lui ravit ses aiglons ; L’aigle impériale…
Amour, le plus souvent, est masculin : L’amour sacré de la patrie ; Un amour passionnel… Il est a contrario féminin au pluriel, dans le langage soutenu : Les amours mortes ; De folles amours… Notons cependant qu’amour est toujours masculin en termes de mythologie, de peinture ou de sculpture : On peindra ainsi de petits Amours.
Délice est toujours féminin au pluriel (Il fait toutes ses délices de l’étude…) et masculin au singulier (Ce dessert est un délice…).
Foudre est féminin dans le sens de « feu du ciel » et lorsqu’il désigne de manière figurée ce qui frappe d’un coup soudain : La foudre est tombée ; Les foudres de la colère s’abattirent sur lui… Toutefois le mot est masculin dans les expressions foudre de guerre, foudre d’éloquence, dans la langue du blason (poème élogieux ou satirique) et pour évoquer le faisceau enflammé, attribut de Jupiter ou bien encore un grand tonneau : C’est un foudre de guerre ; L’aigle tenant un foudre dans ses serres ; Un foudre de vin…
Gens, au pluriel, signifiant des personnes, est masculin ; on rencontre ainsi des gens querelleurs… Cependant s’il est précédé immédiatement d’un adjectif ayant une terminaison différente pour chaque genre, il faudra accorder au féminin cet adjectif et tout adjectif placé devant lui ; quant aux adjectifs et pronoms qui suivent gens et sont en rapport avec lui, ils restent au masculin. On devra par conséquent veiller à écrire : Les vieilles gens ; Quelles honnêtes et bonnes gens
mais quels bons et honnêtes gens, ce sont les meilleures gens que j’ai connus… Les adjectifs qui ne précèdent gens que par inversion restent au masculin ; aussi orthographierons-nous : Instruits par l’expérience, les vieilles gens sont soupçonneux… Ajoutons que dans les expressions telles que gens de robe, gens de guerre, gens d’épée, gens de loi, gens de lettres, etc., le nom est toujours au masculin et l’adjectif, le participe ou le pronom qui s’y rapporte s’accorde également au masculin ; de ce fait, l’AEPF se compose de nombreux gens de lettres. Précisons enfin que gent, signifiant nation ou race, est féminin. Il faudra par conséquent se méfier de la gent canine affamée… Hymne est masculin dans son acception ordinaire, mais féminin dans le sens de « cantique latin qui se chante à l’église » : La Marseillaise est l’hymne national français
mais de toutes les hymnes que l’on chante à l’office il est rare que l’on entonne la Marseillaise… Œuvre est toujours féminin au pluriel ; il l’est généralement aussi au singulier : Toute œuvre humaine est imparfaite ; Toutes les œuvres d’art doivent être protégées… On l’utilise pourtant au masculin quand il désigne l’ensemble de la bâtisse, l’ensemble des œuvres d’un artiste, la transmutation des métaux en or ou encore dans l’expression le grand œuvre. Aussi noterons-nous : Le gros œuvre est achevé ; L’œuvre entier de Rembrandt… Orge est féminin, sauf dans les deux expressions orge mondé et orge perlé : L’animal se nourrit d’une orge exceptionnelle. Orgue, au singulier est masculin : L’orgue de cette église est excellent. Le pluriel orgues est également masculin quand il s’agit de plusieurs instruments : Les deux orgues de cette église sont excellents
. Toutefois, le pluriel reste féminin s’il n’est question que d’un seul instrument : Les grandes orgues ; Des orgues portatives… Pâques (avec le s final), désignant la fête chrétienne, est masculin singulier, il prend une majuscule et rejette l’article : On se verra à Pâques prochain… Pâques est féminin dans les expressions faire ses pâques (sans majuscule) ou Joyeuses Pâques, et quand il est accompagné d’un article : Depuis les Pâques précédentes… Pâque (sans s), désignant la fête juive, est féminin singulier, il prend une minuscule et est précédé d’un article : Les Juifs célèbrent tous les ans la pâque en mémoire de leur sortie d’Égypte… Vous trouverez de plus amples explications concernant l’étymologie de ce terme dans Le mot du jeudi : Pâque et Pâques, de Marie-Agnès de Francqueville, en date du 04 avril 2015. Période, féminin dans les acceptions ordinaires, est masculin quand il évoque le point où une chose, une personne est arrivée : Ce fut une période heureuse de son existence, mais il est au dernier période de sa vie… Malgré de fines subtilités, ces noms se sont choisi un genre. Néanmoins, il en existe d’autres qui ne parviennent pas à se donner un genre définitif. Un prochain Point, nous éclairera sur ces exceptions délicates.