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Qui est le véritable auteur d’un récit de vie ?

Celui qui a vécu cette vie, celui qui compose le récit (qui l’organise en pensée) celui qui le rédige ? Ces trois fonctions peuvent être confondues dans la même personne et dans ce cas il n’y a aucun doute : le seul auteur est celui qui a vécu les faits relatés, et on est en présence d’une autobiographie, au sens le plus classique et plein du terme. Mais elles peuvent être dissociées, ce qui est le cas lorsqu’intervient un écrivain public, donc un rédacteur qui met sa plume et son savoir-faire au service de l’auteur, et s’empare, qu’on le veuille ou non, d’une partie des fonctions de l’auteur.

Et cette dissociation peut encore se concevoir à différents degrés. Un effacement presque total du rédacteur quand il estime que les propos qu’il doit transcrire sont assez forts et clairs pour agir d’eux-mêmes sur l’esprit du lecteur ; dans ce cas le travail consiste essentiellement à produire un texte où se retrouve l’impulsion de celui qui conte, et la totalité de son message, mais dans une langue correcte et fluide, expurgée des impropriétés, redondances et obscurités du discours verbal. Mais ce peut-être aussi une intervention plus poussée, visant à structurer et scénariser le récit afin qu’il « porte » plus loin et plus fort. L’apport du rédacteur peut dans certains cas être assez important pour que la nature même du produit fini s’en trouve modifiée, et que la controverse puisse naître : est-ce bien là le rôle d’un écrivain public ?

Voilà le genre de questions qui pourront être posées et débattues lors de l’intervention de Philippe Lejeune à la Journée Nationale des Ecrivains Publics du 4 avril à Paris. C’est un universitaire spécialiste de ces questions et fondateur de l’Association pour l’Autobiographie et le patrimoine autobiographique (APA) qui entre autres choses conserve à le médiathèque d’Ambérieu (dans l’Ain) des milliers de textes autobiographiques , même lorsqu’ils ont été écrits avec l’aide de tiers, sous la seule réserve que cette aide soit clairement affichée.

Philippe Lejeune, précisément, présentait en novembre à Ambérieu un livre autobiographique très singulier de Pauline Picquet : « Sans Illustration » , laissé légèrement inachevé par la mort de l’auteur en 2008. En l’occurrence c’est presque sans importance puisqu’il n’y a pas de récit au sens classique (s’enchainant de façon logique et chronologique) mais un kaléidoscope de notes, impressions, éclairs furtifs et méditations classées par ordre alphabétique et se renvoyant parfois les unes aux autres. Tous ces fragments ne nous parlent que d’une seule chose : un accident de voiture en Algérie en mars 1966, les graves brûlures au visage et aux mains qui laissent Pauline Picquet défigurée et indéfiniment affaiblie, les milliers de jours d’hôpital qu’elle endurera tout au long de sa vie, l’énergie déployée pour reprendre des études, devenir professeur certifié, mener une carrière, et le regard simultanément froid et passionné qu’elle pose sur les gens, sa vie, et la vie tout simplement. Un livre dur, disait Philippe Lejeune, mais est-ce si sûr ? Un style presque sec à force d’être sobre, une liberté laissée au lecteur qui fait que la lecture n’est jamais ennuyeuse : elle peut se laisser et se reprendre à tout moment. Une œuvre très simple et forte, un concentré. Une simplissime autobiographie où toute intervention extérieure serait malvenue.

« Rebelle, mais fidèle » est le titre de la courte autobiographie de Marcel Burgevin, rédigée avec le concours de Pascal Martineau, de l’AEPF. C’est un ancien prêtre-ouvrier et Pascal Martineau, on le sent, a voulu préserver intact le souffle, le rythme, les coups de coeur et les coups de gueule de l’auteur ; on voit que le texte colle au plus près du discours d’un protagoniste plus intéressé par la vérité des rapports humains que par la déférence envers des hiérarchies qui l’énervent. On déchiffre la vie de Marcel Burgelin à force d’avancées et de retours en arrière, de coups de projecteur sur un moment ou un personnage-clé. Le propos est toujours extrêmement simple et concret et l’écrivain public s’est vraiment totalement effacé. Il en résulte une forte impression d’authenticité. En revanche on peut regretter ici ou là que les épisodes ne soient pas mieux datés, situés dans le contexte des différentes époques, et en particulier que la signification de certaines règles ou terminologies ecclésiastiques ne soit pas mieux expliquée. Sans doute fallait-il, sur ce point, oser être plus interventionniste ! Ce qui n’enlève rien à l’intérêt qu’on peut trouver à ce genre de lecture qui nous en apprend au moins autant sur l’époque et les milieux concernés que bien des études savantes.

Edmond Varenne

« Sans Illustration », Pauline Picquet, 198 p. Editions du Mauconduit, avec une préface de Philippe Lejeune, 16 euros
« Rebelle, mais fidèle » de Marcel Burgelin et Pascal Martineau, 85 p, lulu.com, 9 euros