Écrivain public membre de l’AEPF à Lunéville, Yohann Mehay nous raconte une belle histoire vraie : celle de la création), à son initiative, d’une « ligue régionale » en Lorraine.

Chapitre 1
Mon enquête

Lorsque j’ai officiellement intégré l’AEPF au début de l’année 2022 après avoir reçu (presque) haut la main l’agrément en guise de cadeau de Noël, je n’ai pas résisté à la tentation de vérifier à chaque première heure du jour que sur le site de l’association mon nom figurait dorénavant parmi les membres installés en Meurthe-et-Moselle. Quelles flatteries, quels honneurs, quelles responsabilités subitement me submergeaient : ladite liste n’arborait que mon seul patronyme. Étais-je un précurseur ? J’évacuais aussi subitement cette fausse piste en constatant que notre association professionnelle était née officiellement à Nancy – préfecture de la même Meurthe-et-Moselle faut-il le rappeler – avant même ma conception par mes géniteurs. Étais-je un super-héros dont les pouvoirs n’ont d’égal que la solitude ? Vite fait, bien fait, j’ai ôté ma panoplie d’homme-pipistrelle au profit de quelques clics de ma souris pour faire redescendre un peu mon ego : d’autres individus se débattaient avec les mêmes pouvoirs dans un rayon de trente kilomètres à vol d’oiseau en avançant plus ou moins masqués. Je n’étais donc ni le premier, ni le seul. Ma curiosité tournait à l’urticaire : pour calmer mes ardeurs, j’étendais mon spectre à l’aire de feu la région Lorraine. Faible représentation de l’AEPF en Moselle, nulle en Meuse et dans les Vosges ; sur le site du SNPCE en revanche quelques points sur la carte ; sur celui des biographes hospitaliers aussi et sur d’autres interfaces plus confidentielles je trouvais encore quelques confrères et consœurs de la famille des prestataires en écriture. L’abattement survenu après ces découvertes qui ne feraient jamais de moi l’homme providentiel pour lequel je m’étais pourtant donné tant de mal (ah les tests de l’agrément !) fit place à l’acceptation puis à la réalisation d’un nouveau moi, d’aucuns jugeront humble et modeste. Je commençais mon activité, au rythme des sollicitations qui me parvenaient. Pourtant quelque chose me manquait. Quoi ? Des vies à sauver ?

Chapitre 2
La réunion (presque) secrète

À l’automne 2023, je me lançai à mes risques et périls dans une entreprise incertaine : inviter les prestataires en écriture de Lorraine que j’avais identifiés au cours de mon enquête à se dévoiler lors d’une rencontre dans un lieu public d’une ville neutre, la mienne. J’avais pris soin de répertorier dans un annuaire les coordonnées de chaque complice potentiel : nom, prénom, adresses postale et numérique, codes téléphoniques, url. Malgré moult comptages et recomptages de cet inventaire, la somme de toutes ces individualités comprenant la mienne égalait invariablement un nombre qui d’abord m’angoissa : treize. Mais j’en avais vu d’autres et je négligeais bientôt cette suspicion de malédiction pour concrétiser mon projet : je leur envoyais un mail. Le 16 novembre, à la brasserie de burgers qui fait face à la gare ferroviaire de Lunéville, nous étions quatre à table, partagée avec un Père-Noël-de-centre-commercial-et-de-centre-aéré qui méritait sa biographie. Était-ce un échec ? Presque 31 % de répondants : je le considérais comme un espoir. Florence, Valérie, Antoine et moi-même ôtions nos masques, déclinions nos identités, jouions cartes sur table pour mettre en commun nos forces et nos faiblesses, nos doutes et nos certitudes, nos solitudes aussi. Communication, statut, tarifs, ambitions : l’ordre du jour compilait nos confidences, nos transparences, nos quêtes de sens. Voilà, nous faisions réseau, nous étions une ligue extraordinaire. Un réseau grandi par l’interconnaissance, par l’assurance d’un collectif en soutien de nos individualités. Une ligue régionale, au relais officieux des instances nationales. Nous envisagions de nous revoir ; nous nous accordions sur l’opportunité de nous retrouver à l’appel de l’un·e des nôtres. Les 69 % restants furent par ma grâce tenus informés de la teneur des informations dans la pièce jointe à un nouveau mail. Nous ne nous revîmes pas.

Chapitre 3
La relance

J’aurais pu en rester là. J’avais fait mon devoir. J’avais montré que la solitude inhérente à notre profession n’est pas une fatalité. J’aurais pu l’air de rien continuer mon p’tit bonhomme de ch’min sans rien d’mander à personne. Oui mais voilà. J’ai participé à l’AG de l’AEPF en juin 2024. J’ai ouvert ma gueule une fois de plus une fois de trop : on m’a demandé de raconter mon enquête et la réunion (presque) secrète dans un article pour en faire bénéficier tous les écrivains publics de France. Quoi ? Révéler au monde entier l’existence de notre ligue régionale ? Oui. J’ai mis le temps, j’ai traîné des quatre fers, je me suis façonné mille excuses. Et puis j’ai reçu un mail. Une consœur nouvellement installée en Moselle, tout juste agréée, désirait intégrer notre ligue. C’était l’aubaine qu’il me fallait, le coup de fouet, la piqûre de rappel. Je la remerciai et lançai mon nouveau programme : la relance. En même temps que je rédigeais mon article, j’envoyai une nouvelle invitation au groupe, débarrassé de tout totem malchanceux – l’annuaire compte une membre de plus. Et voilà, nous allons nous revoir. Et voilà, mon article est en ligne.

Yohann Mehay