Par Marie-Agnès de Franqueville
« Cette réforme est reportée aux calanques grecques. »
Pourquoi les mots n’ont-ils pas de bouclier pour se protéger des barbarismes ? Remarquez bien, elles me font souvent rire ces fautes de langage de mots déformés ou inexistants. D’autant plus que je suis la première à en faire ou à ne pas les voir… Des calanques grecques (ou marseillaises) aux calendes grecques, il n’y a qu’une syllabe d’écart à nos deux paronymes. Quoi qu’il arrive, cette réforme tombera à l’eau, car elle n’existera jamais. Nous allons découvrir ensemble pourquoi…
Si la calanque, nom féminin tiré du provençal calanco, est une crique escarpée, les calendes n’ont pas cette poésie maritime. Ce nom féminin n’existe qu’au pluriel et provient du latin calendae, « premier jour du mois chez les Romains ». Le jour des calendes, tombait donc le premier du mois, jour d’obligation pour les débiteurs de payer leurs dettes. Elles étaient consacrées à Junon, reine des dieux et protectrice du mariage, dite « Junon calendaire ». Ensuite, les Romains comptaient les jours en rétrogradant à partir des calendes du mois suivant. Par exemple, le premier jour avant les calendes d’avril était le 31 mars, jour de veille. Les ides dédiées à Jupiter, survenaient le 13 ou le 15 d’avant les calendes. Enfin, les nones correspondaient au neuvième jour d’avant les ides. L’auteur de cette réorganisation du calendrier romain n’est autre que Jules César, vers 45 avant J.-C., pour s’accorder avec les mouvements connus des astres. C’est de cette époque que datent l’année de 365 jours et l’année bissextile à 366 jours. Lorsque le calendrier romain suivait un cycle lunaire, les calendes coïncidaient avec la nouvelle lune. Ce jour-là, les pontifes ou chefs religieux annonçaient la date des fêtes mobiles (jours fériés) du mois suivant et les débiteurs devaient donc payer leurs créances inscrites dans les calendaria, les livres de comptes. Ce terme archaïque de kalendaria viendrait soit de l’étrusque soit du latin pur calenda, « ce qui doit être appelé », issu du verbe calare, « appeler ».
Tandis que les Romains structuraient leur temps par les calendes, les Grecs utilisaient leurs calendriers attique ou macédonien dont les mois portaient les signes du zodiaque correspondants. Jamais les Grecs ne se sont servis de calendes, exclusivement romaines. Vous comprendrez donc que les calendes grecques n’existent pas ! Ce dicton romain Ad calendas græcas solvere, « payer aux calendes grecques » signifie « ne jamais payer ». L’expression « reporter (renvoyer ou remettre) quelque chose aux calendes grecques » traduit le fait de reporter à une date qui n’arrivera jamais puisqu’elle n’existe pas ! L’empereur Auguste (63 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.) fut le premier à formuler de la sorte un remboursement qui tardait à venir de la part de débiteurs insolvables.
De nos jours, de nouveaux adages sont venus corroborer le sens de la maxime d’Auguste. « La semaine des quatre jeudis » évoque une semaine aux quatre jours identiques, le jeudi étant l’ancien jour de repos scolaire ; cette semaine utopique n’existe pas évidemment. « À la Saint-Glinglin » remet à une date hypothétique, voire jamais. Contrairement aux apparences, le saint qui demeure imaginaire est une déformation du seing, « signal, signature » désignant en ancien français une sonnerie de cloche puis la cloche elle-même. Quant au Glinglin, prénom de choix légendaire, il serait issu d’un dialecte de Metz signifiant « sonner, résonner » lui-même lié à l’allemand klingen, « sonner » et klingel, « cloche ». « Payer à la Saint-Glinglin » se résume en définitive à payer à une cloche ! En toute connaissance de cause, je décide de reporter la béatification de « Saint-Glinglin » aux calendes grecques.
Et les calendes n’en ont pas fini d’être contrariées. Un barbarisme de plus les guette, en embuscade. Il s’agit d’un autre nom féminin, calandre, riche en définitions. Cadre métallique ou plastique décorant et protégeant le radiateur d’une voiture, machine à rouleaux superposés pour lustrer les étoffes et les lisser, la calandre se métamorphose à l’envi en une grosse alouette.
Gardons en mémoire qu’il est impensable de renvoyer aux calendes grecques de jolies alouettes calandres venues se nicher dans les failles escarpées des calanques des îles grecques. Elles ont le droit d’exister !