Par Sandrine Chevillon
Intéressons-nous en premier lieu à l’opposition entre futur simple de l’indicatif et conditionnel. Ils diffèrent, a priori, parce que le futur tend à réduire le plus possible la part d’incertitude inhérente à l’avenir, tandis que le conditionnel la renforce. Ce dernier présente donc l’action de manière hypothétique.
Ainsi la valeur fondamentale du conditionnel est celle de l’expression d’une hypothèse, le plus souvent formulée grâce à une proposition subordonnée introduite par si, telle que : Si vous étiez membre de l’AEPF, vous seriez agréé. Il est important de rappeler que, dans ce type de structure, lorsque la subordonnée introduite par si est à l’imparfait, la principale est au conditionnel présent. En revanche, dans le cas d’une subordonnée au plus-que-parfait, la principale est au conditionnel passé. Aussi écrirons-nous : Si vous aviez ouvert votre manuel de grammaire, vous n’auriez pas lu ce Point.
Il est à observer toutefois que certaines tournures hypothétiques ou concessives acceptent le conditionnel dans la subordonnée et la principale. En voici des exemples : Quand même un client me le demanderait, je refuserais de rédiger une lettre de menace ; il insisterait que je lui parlerais de déontologie ; il me l’ordonnerait, je lui montrerais la charte de l’AEPF.
Par ailleurs, sur le plan purement modal, selon le contexte, le conditionnel présent indique le potentiel ou l’irréel. En effet, quand on note Si tu devenais écrivain public, ton rêve d’exercer un métier passionnant se réaliserait, on considère, au moment de l’énonciation, que devenir écrivain public est possible, bien que les conditions de réalisation de ce projet ne sont pas encore remplies ; c’est le potentiel. Cependant lorsque l’on écrit Si j’habitais en ville, j’aurais pignon sur rue et les clients pousseraient la porte de mon échoppe, on sait d’ores et déjà au moment de l’énonciation que l’on réside à la campagne et qu’en conséquence exercer dans une boutique est impossible ; il s’agit alors de l’irréel. Le conditionnel passé, pour sa part, n’exprime à l’évidence que cette irréalité puisque le fait qu’on évoque ne s’est pas produit dans le passé.
Ajoutons que certains emplois du conditionnel comportent une condition implicite. Il peut exprimer :
une demande ou un conseil atténués : Je voudrais des renseignements…, vous devriez venir demain (Notons que l’atténuation est plus forte avec le conditionnel passé.) ;
une opinion illusoire : On se croirait en Égypte du temps des scribes ;
une éventualité : L’écrivain public cherche une formulation qui pourrait satisfaire son client ;
l’imaginaire : Tu serais mon Roméo et je serais ta Juliette !
Parallèlement à sa valeur première, le conditionnel est également utilisé dans deux types d’emplois dépourvus de toute notion de condition ou d’hypothèse :
l’information incertaine : le conditionnel est communément usité dans la presse écrite et parlée pour sous-entendre que la vérité du fait n’est pas garantie, dégageant ainsi la responsabilité du locuteur : Le malfaiteur aurait reconnu les faits ;
l’interrogation oratoire : au conditionnel cette question est volontairement orientée vers une réponse négative : Il aurait ouvert son manuel de grammaire ? nous invite à comprendre que cela est vraiment très peu probable, voire impossible. Cette interrogation, également dite rhétorique, permet d’exprimer un fait que l’on rejette avec indignation : J’aurais commis un tel acte ?
Pour clore ce triptyque conditionnel, voici une petite astuce qui vous permettra de ne pas confondre la première personne du singulier du conditionnel et celle du futur : transposez votre phrase à la troisième personne du singulier et vous saurez à quel temps vous vous exprimez. Remplacez, par exemple, je voudrais de plus amples informations par il voudrait de plus amples informations. Vous ne pourriez pas dire il voudra
car cela impliquerait que vous n’avez pas besoin de renseignements tout de suite mais dans un futur indéterminé. De ce fait, si votre demande est urgente, optez pour le conditionnel !