Nella Ciona Mocœur, écrivaine publique membre de l’AEPF installée dans l’Oise, a « légendé » des photos de migrants réalisées par Lucy Oliveira Gomes pour une exposition qui sera inaugurée les 18 et 19 septembre 2021 dans les bibliothèques municipales Saint-Corneille et Jacques-Mourichon de Compiègne.
Lors de l’inauguration d’une exposition de peinture, le directeur des bibliothèques de Compiègne m’a fait part du projet d’exposition photographique sur lequel il travaillait. Celle-ci était dédiée aux migrants hébergés dans une résidence d’accueil de Compiègne. Antoine Torrens souhaitait illustrer d’une phrase chaque portrait exposé. J’ai tout de suite senti monter en moi le désir de rencontrer chacune des personnes volontaires pour la photo, afin de recueillir leur témoignage concernant leur parcours migratoire et leur histoire personnelle. J’ai convaincu le directeur des bibliothèques de la pertinence de confier cette mission à un écrivain public qui reçoit régulièrement, à ses permanences, des personnes vulnérables en situation difficile.
Depuis treize ans, j’exerce mon métier d’écrivain public avec la joie profonde de venir en aide aux personnes qui en ont besoin, quels que soient l’âge, le milieu social et professionnel. Qu’il s’agisse d’apporter une écoute attentive, de rédiger un courrier, de remplir un dossier, de passer un coup de fil, de donner un conseil, de fournir une information, d’effectuer un accompagnement numérique…, les tâches administratives, souvent rébarbatives, contribuent à la bonne marche de la vie courante. Cependant, c’est dans la relation humaine que se trouve le cœur du métier. La bienveillance gouverne les échanges et il s’agit parfois d’apaiser la charge émotionnelle qui décourage, met en colère et peut paralyser les personnes, perdues dans leurs problèmes, isolées par la barrière de la langue, par une situation irrégulière, la maladie… Nombreux sont ceux qui viennent chercher, chez l’écrivain public, un espace de neutralité entre eux-mêmes et les institutions.
C’est le cas des personnes en situation d’isolement et des migrants que j’ai rencontrés à la résidence d’accueil de Compiègne. Ils m’ont accueillie dans leur foyer, qui constitue pour eux un espace de neutralité, et tous m’ont ouvert leur cœur en s’exprimant avec simplicité, parfois par l’intermédiaire d’un traducteur, afghan, russe ou arabe.
La charge émotionnelle de ma mission a été considérable. J’ai vécu une expérience inédite tout au long du mois de septembre 2020. J’ai fait le tour du monde, de Cuba aux pays d’Afrique en passant par la Russie, l’Afghanistan, l’Algérie, la Turquie et l’Irak. J’ai écouté les récits de scènes de barbarie épouvantables en observant les visages empreints d’une profonde tristesse, toujours dignes. Dans le feu de l’action, je suis parvenue à contenir mon émotion tant bien que mal. J’ai retranscrit les témoignages, puis je les ai relus à voix haute pour approbation des intéressés. L’émotion m’a alors submergée comme elle a submergé la photographe, Lucy Oliveira Gomes, quand elle les a lus : « Je viens de lire les textes… vous avez fait un travail formidable ! Les textes sont touchants, plein d’humanité et chacun des textes parvient à montrer la personnalité de tous. Encore bravo, ce sont des textes magnifiques, certains m’ont fait sourire, mo’nt fait rire et puis d’autres m’ont fait monter des larmes… Quel super travail ! »
Parfois, en dépit de la souffrance, la poésie des paysages décrits révélait la nostalgie du pays natal, l’atmosphère particulière que le voyageur garde en souvenir, comme l’exprime Antoine Torrens : « Merci pour ces textes superbes ! Je relisais, ce matin, les textes sur Bobo et Archange et cela m’évoque toutes sortes d’images à la fois familières et exotiques. »
La mission d’un écrivain public, c’est bien plus que prêter sa plume pour écrire une lettre.